La passion du généalogiste réside-t-elle dans la recherche ou dans le résultat ?
Je me demande si, à la manière du joueur qui, s'il ne perd jamais, ne voit aucun intérêt à jouer, le généalogiste, le vrai, le pur, le dur, ne prend pas plus de plaisir à chercher qu'à trouver ? J'avoue qu'au niveau satisfaction et plaisir, le fait de découvrir un personnage, un événement après avoir fait une suite de déductions aussi alambiquées que possible, avoir parcouru des dizaines d'archives, m'est beaucoup plus agréable que découvrir le même personnage après avoir tapé son nom dans Généanet. Certes, me répond mon alter-ego qui a toujours l'oeil sur le cursus des finances, "mais le temps c'est de l'argent ..." Oui, mais dans le cas de la recherche généalogique par plaisir ou pour faire plaisir, ni le temps, ni l'argent ont de l'importance ! Jetons nous donc dans le bain de cette recherche, la vraie, qui relève le plus souvent de l'enquête policière plutôt que du questionnaire à choix multiples.
Car c'est bien cette enquête, ce moment où l'on échafaude une théorie pour partir à la recherche de l'oncle Marcel, celui qui a disparu un beau matin de la ferme familiale en laissant sa femme et ses six enfants, qui fait le plaisir. Plaisir que l'on poursuivra en rebondissant d'actes en actes, de coupures de journaux en constatations d'huissiers ou de testaments enfin révélés. J'aime bâtir, avant tout résultat, une sorte de roman, une histoire où l'épique l'emporte sur le banal, où les personnages ont une consistance à toute épreuve ; la quête me motive, m'emporte vers des récits pour lesquels mon imagination va galopant. La chute est, neuf fois sur dix, voire même plus, brutale. Mais je le sais et m'y attends, il n'y a donc pas de frustration.
C'est avant tout le plaisir de la recherche qui mène la barque. L'épopée se transforme-t-elle en banale histoire ? Qu'importe, les personnages sont bien là et la saga familiale, tout en s'éloignant des mes élucubrations romanesques, finit par être une réelle Histoire familiale, bien ficelée et digne d'intérêt. C'est cette capacité à imaginer, supposer, fabriquer des plans qui fait tout le plaisir de la recherche. Capacité à moduler, dompter et sciemment utiliser, car la moindre digression provoque l'erreur, la confusion, le mélange des genres.
Que l'on se laisse trop emporter dans un tourbillon de suppositions et l'on en oublie le sujet principal. Que l'on se laisse trop emporter à imaginer "ce qu'aurait pu être" et l'Histoire se transforme en roman de gare. Que l'on se laisse trop influencer par le milieu ambiant et l'on se retrouve dans la peau d'un de ses généalogistes des siècles passés en quête de noblesse pour son riche client.
L'oncle Marcel, je le voyais parti aux USA, il y était propriétaire d'un grand ranch où il élevait des milliers de vaches, au milieu de dizaines de cow-boys tous aussi bagarreurs les uns que les autres. Il était trés riche et, certainement, un jour ou l'autre, il finirait par revenir au Pays faire le bonheur de sa famille qui y vivait misérablement. Quelques documents plus tard, deux ou trois coupures de journaux en poche, j'appris que Marcel avait tué deux aubergistes de la ville voisine, qu'il avait été condamné au bagne et y était décédé deux ans plus tard. Les deux versions sont fortes, la romanesque plus "belle", l'autre, la vraie, plus "familiale". La plupart du temps, lorsqu'on ne sait pas ce qu'est devenu un membre de la famille, on l'imagine plus dans la première situation, et les discussions de fin de repas vont bon train autour de ce sujet, avec les secrets de famille en arrière-plan.
La vérité révélée par le généalogiste dans ses recherches n'est pas toujours la plus "belle", mais c'est celle de la famille, celle qui, du roi au pendu, fait une Histoire familiale qui bâtit des générations. La recherche aura ainsi permis de fonder des hypothèses aussi nombreuses que possibles, en éliminant petit à petit toutes celles irréalisables, en sélectionnant soigneusement le possible et, au bout, en révélant un résultat, preuves à l'appui, ou en se basant sur une "intime conviction".
Le résultat c'est la satisfaction de révéler une énigme, la recherche c'est le plaisir de disséquer l'énigme.