Dictionnaire encyclopédique d'anecdotes modernes, anciennes, française et étrangères
Par Edmond Guérard - Paris 1872
Déjà évoqué ici-même, ce dictionnaire, qui regorge, bien entendu, d'anecdotes en tout genre, est une véritable mine pour la compréhension, l'étude d'une personne ou d'une période. Pour preuve la citation d'un grand historien, Propser Mérimée, que nous retrouvons sous le titre de cet ouvrage : "Je n'aime de l'histoire que les anecdotes".
L'anecdote proposée ci-dessous est bien sûr un large clin d'oeil à tous les généacollecteurs qui auraient bien mérité la leçon de ce roi au lourd héritage.
Tome 2 du dictionnaire :
Louis XV, un jour, fatigué des disputes des parlements avec les ducs et pairs sur les généalogies, et du babil des courtisans contre les nobliaux, les noblaillons, les bourgillons et les bourgillonnes, leur apprit à ne pas rougir d'avouer les petits parents.
Homme de beaucoup d'esprit et d'un esprit quelquefois très-mordant, il avait étudié l'extraction des diverses personnes de la cour, et il se faisait un malin plaisir d'humilier les prétentions de ceux qui portaient le plus loin l'orgueil de leur naissance.
Il rappelait souvent au maréchal de Richelieu que Vignerot, son bisaïeul, était un joueur de flûte qui avait plu à la nièce du fameux cardinal ; aux Villeroy, qu'ils descendaient d'un marchand de poisson sous François 1er, etc., etc.
Un soir qu'il avait désolé plusieurs des courtisans par ces petites vérités historiques, il reprit d'une manière assez gaie : « Au demeurant,consolez-vous, messieurs ;moi qui suis, je pense, un assez bon gentilhomme, j'ai mon grand-père qui était notaire à Bourges. »
On se récria ; le roi prit une petite note dans un tiroir, et continua ainsi en y portant les yeux :
« Sous le règne de Louis XI, vers 1470, il y avait à Bourges un honnête notaire qui s'appelait Babou. On trouva même quelque part que le père de ce Babou était barbier ; mais cela n'est pas si constant que l'état de notaire exercé par le fils, dont il existe dans les archives du Berry nombre d'actes signés de sa main. Babou fit fortune, et acheta pour son fils, Philibert Babou, une charge de trésorier de France. Philibert devint maître d'hôtel du roi Charles VIII. Il fut père de Babou, sieur de la Bourdaisière, maître général de l'artillerie en 1539. La fille de ce la Bourdaisière fut mère de Gabrielle d'Estrée, laquelle eut pour fils naturel. César de Vendôme, marié en 1609 à l'héritière de Mercoeur, et père d'Elisabeth de Vendôme, mariée à Charles-Amédée de Savoie, duc de Nemours, qui fut tué en duel par le duc de Beaufort, son beau-frère. Charles-Amédée fut père de Marie de Nemours ; laquelle fut mariée à Charles-Emmanuel, duc de Savoie, dont elle eut Victor-Amédée, duc de Savoie, roi de Sardaigne, et père de Marie-Adélaïdede Savoie, mariée à Louis de France, due de Bourgogne, dont j'ai, moi qui vous parle, l'honneur d'être fils.
Ainsi vous voyez, messieurs, que mon dixième aïeul était, comme je vous le disais, un très digne notaire de Bourges, dont le père aurait même été barbier. Je ne le renie point, je n'en ressens aucune honte, et vous invite tous, tant que vous êtes, à n'être pas plus difficiles que moi en arbres généalogiques. »
(Mercure de France au XIXe siècle.)
La réflexion est tout aussi grande que celle attribuée à La Bruyère à propos des rois et des pendus dont nous descendons. Réflexion pour laquelle je n'ai toujours pas trouvé la moindre trace dans les écrits de ce dernier ...