La Vie rustique.
Par André Theuriet
Compositions et dessins de Léon Lhermitte, gravures sur bois de Clément Bellenger
Paris, librairie Charles Tallandier, 197, boulevard Saint-Germain
Et combien de fois encore allons-nous nous interroger sur la vie de nos ancêtres ? Combien de fois encore essaierons-nous de percer leur quotidien, leurs joies, leurs peines, les journées trop longues, les difficultés financières. Par trop souvent nous voyons, à notre manière, une tranche de ces vies : belles veillées au coin du feu où l'on racontait de jolis contes, magnifiques jeunes gens et jeunes filles se promenant dans les allées de parcs citadins, fiers soldats à l'uniforme impeccable, paysans "taillés dans le roc" et "secs comme des triques" rentrant le foin ; tout un côté idyllique d'une vie citadine ou campagnarde comme nous aimerions qu'elle soit.
En est-on sûr ? Bien peu de chance que tout se passe dans ce monde si beau, bien peu de chance que tous les jours soient comme cela, même si ces images sporadiques font vraiment partie de cette vie que nous cherchons à connaître.
André Theuriet va chercher à nous faire partager quelques instants de cette vie rustique, fort joliment agrémentés de nombreuses gravures. Il décrit minutieusement cette vie à la campagne à la manière d'un observateur qui, comme il le dit, souhaite faire passer un message à ses petits neveux.
Si vous n'avez jamais eu l'occasion de lire un ouvrage sur la vie de nos ancêtres, celui-ci vous étonnera certainement, vous choquera peut-être, vous révélant des moments qui vous surprendront. Parfois même certaines constatations à propos de la vie citadine et campagnarde bousculeront notre présent.
Organisé autour des grands chapitres que sont la ferme, le blé, la vigne, le chanvre, en forêt et le village, introduits à chaque fois par une petite poésie, l'ouvrage se lit facilement, pas obligatoirement de manière linéaire.
Au chapitre du blé, le pain : La ménagère cuit pour huit et même quinze jours de larges et épaisses miches, qu'on met en réserve sur les clayons suspendus aux poutres, et qu'on ménage parcimonieusement. Du reste, le paysan, qui sait le mal qu'on a à faire pousser le blé, a pour le pain un pieux respect. Perdre un morceau de pain en le jetant à la rue est regardé comme un sacrilège. Il faut voir la ménagère entamer la miche ! Elle procède à cette opération comme à une cérémonie religieuse. D'abord, elle ne manque jamais de faire avec son couteau un signe de croix sur la croûte du dessous ; elle est persuadée que la maison où l'on oublie cette formalité est menacée d'un malheur prochain. Puis elle coupe chaque tranche avec une grave lenteur, et ramasse soigneusement les miettes éparses sur la table. Cette façon presque solennelle d'entamer la miche m'a toujours frappé dans mon enfance et m'a imprimé dans l'esprit un profond respect pour cette nourriture indispensable à la plus large part de l'humanité, pour ce pain qui coûte tant de fatigues, et dont, à l'heure qu'il est, tant de misérables encore ne peuvent manger leur soûl.
Au chapitre du village, la vieillesse et la mort : Après le service religieux et l'enterrement, les parents, les amis et même les simples relations du défunt sont conviés dans la maison mortuaire à un repas qu'on nomme l'obit. Ce repas funèbre commence gravement et silencieusement, mais à mesure que les plats se succèdent et que les bouteilles se vident, les conversations à haute voix deviennent plus animées. Au dessert, le plus ancien des convives se lève et entonne le De profundis à la mémoire de celui qui est parti. Il n'est pas rare que l'obit dégénère en buveries et en ripailles peu dignes de la circonstance et fort désagréables pour les parents véritablement affligés. Aussi, dans beaucoup de familles aisées, rachète-t-on l'obit au moyen d'une somme d'argent, distribuée aux gens du village qui ont suivi le convoi.
Vous prendrez certainement beaucoup de plaisir à parcourir ces tranches de vie, à reconnaître des coutumes, à en découvrir d'autres. Plongez dans le passé et revivez ces instants que vos aïeuls ont vécus, un partage à quelques années de distance !