On lit dans le courrier du Havre :
Un acte de folie furieuse a causé ce matin, une profonde émotion dans notre ville.
A huit heures, un service funèbre avait lieu à la chapelle de Notre-Dame-du-Mont-Carmel, dans l'église Notre-Dame. M. l'abbé DURIER officiait ; M. l'abbé HERVAL et M. LETENDRE remplissaient les fonctions de chantres, M. BERGERET, bedeau, répondait à la messe.
Immédiatement après la consécration, et tandis que les assistants tenaient leurs fronts humblement inclinés et leurs regards baissés, un homme de mauvaise mine et assez mal vêtu, qui se tenait près de la grille du chœur, ouvrit avec précipitation la petite porte donnant sur l'autel, alla droit à l'officiant, posa sa main gauche sur l'épaule du prêtre et de sa droite lui porta un coup de couteau-poignard.
M. l'abbé DURIER para le coup avec son bras droit, mais dans ce mouvement reçut à la main une blessure longue de deux centimètres, mais peu profonde, et d'où il n'est sorti que quelques gouttes de sang. En outre le couteau a coupé la manche de son aube. La stupéfaction clouait à leur place la plupart des spectateurs d'une scène aussi étrange, mais M. BERGERET, bedeau, et M. DRU, qui assistait au service, s'élancèrent vers l'auteur de cette tentative insensée, et le continrent jusqu'à ce qu'il fut conduit au dépôt de sûreté.
Cet homme est un nommé Marcelin MAGNIEN, horloger, né à Montpellier, âgé de 37 ans. Il était arrivé au Havre lundi dernier et était logé à la caserne de passage. Il a habité Paris pendant onze ans, puis Waterloo, puis Lille, puis de nouveau Paris pendant six mois, et c'est là qu'il a acheté le couteau dont il a fait un si triste usage. On croit qu'il a passé quelques temps dans une maison d'aliénés, et quelques-unes de ses réponses, aux questions qui lui ont été faites, démontreraient que son cerveau est encore malade.
Possédé de la haine du clergé, voici les motifs qu'il donne de cette aversion :
Les prêtres ont voulu empoisonner ma femme et mes deux enfants. J'avais fait pour la reine Victoria un travail dont Victor Hugo était le Grand-Orient, et les prêtres m'ont fait manquer mon entreprise."
Il n'est pas besoin de faire remarquer l'incohérence de ces paroles.
Cette incohérence est d'ailleurs le seul signe du dérangement des facultés mentales de MAGNIEN, car il s'exprime avec beaucoup de calme, et le sang-froid avec lequel il profère certains propos ajoute beaucoup à ce qu'ils ont d'odieux. "Si j'avais pu, a-t-il dit, passer de l'autre côté, j'aurais frappé l'abbé à gauche, et lui aurais percé le cœur". Il semble fier de sa détestable action, nie avoir aucun motif de haine personnelle contre M. DURIER, et prétend qu'il en aurait fait autant à tout autre ecclésiastique.
Son calme, toutefois, n'est pas plus grand que ce qu'a été celui de M. DURIER dans une situation où il s'agissait pour lui de vie ou de mort. Dès qu'il eut été délivré du danger, il se recueillit un instant, la main posée sur l'autel, et continua le service funèbre, interrompu d'une manière si déplorable.
Marcelin MAGNIEN, fils de Jules Etienne, horloger et de Fani ROSSIGNOL, domiciliés à Montpellier (Hérault), est né à Montpellier dans la maison BROUILLET, place de la Préfecture, le 6 août 1826.
Jules Etienne MAGNIEN et Fani ROSSIGNOL se sont mariés à Montpellier le 26 mars 1821.
Jules Etienne MAGNIEN est né le cinq nivôse de l'an IV à Saint-Etienne-en-Bresse (Saône-et-Loire). Son père, Pierre Henry, décédé au jour du mariage de Jules Etienne, est notaire public, domicilié à Le Villey, commune de Saint-Germain-du-Bois (Saône-et-Loire), sa mère, Magdelaine GÉLY, accouche dans leur maison de résidence à Le Villey.
Fani ROSSIGNOL, fille de Jacques Jean Martin, marchand tailleur et de Françoise DURAND, domiciliés à Montpellier, est née en cette ville le vingt-sept Floréal de l'an douze.